Des vikings et des grognards napoléoniens chantent ensemble au milieu de grands chars colorés. Un peu plus loin, des cow-boys s’amusent avec des enfants sous une pluie de confettis. La fête bat son plein au carnaval de Granville. En ce début d’après-midi du mardi 21 février, 46 chars s’apprêtent à dévaler la grande avenue principale vers le port. Cette « cavalcade » est la quatrième et dernière de ce week-end festif.
Ils ne sont pas les seuls à se préparer. Une trentaine de bénévoles de la SNSM vérifient leur matériel de secours quelques mètres plus loin. David, patron suppléant de la station de Granville, prend la parole. « Vous faites tous partie d’une équipe, rappelle-t-il. J’enverrai un trinôme tous les trois chars pour nous répartir efficacement. » Le centre-ville est noir de monde. Pas de quoi impressionner David, qui a douze carnavals à son actif. « J’ai d’abord organisé l’événement en tant que carnavalier, explique l’homme à la queue de cheval. Maintenant je le fais en tant que coordinateur secours. »
13h30, la cavalcade débute. Les chars défilent en fanfare dans une atmosphère joviale. Les plus petits admirent le défilé depuis les épaules de leurs parents. Dimanche, il y avait 150 000 individus pour la Grande cavalcade. Ils sont aujourd’hui 40 000 à jeter des confettis sur les carnavaliers qui passent devant eux, musique à fond. Le cortège se dirige vers le port où le roi va être jugé pour les bêtises des carnavaliers. La SNSM assure une mission de surveillance et de secours. 51 sauveteurs sont déployés ce mardi contre 96 dimanche. C’est l’un des plus gros dispositifs de secours de l’année. Quelques crises de panique, traumatismes et hémorragies ont été gérés par les bénévoles tout au long du week-end.
Première intervention pour une jeune nageuse sauveteuse
Tous ne sont pas dans la rue au contact des carnavaliers. Une dizaine de sauveteurs est au poste de secours central. Il abrite tout le reste du matériel de secours dans une grande tente aux allures d’hôpital militaire. « On se tient prêt à accueillir des victimes à tout moment », indique Émile, membre du CFI Ille-et-Vilaine et chef d’équipe. Les interventions peuvent survenir à tout moment. Nageur sauveteur au centre de formation et d’intervention (CFI) de Paris, Simon est venu de la capitale pour participer au carnaval. « Je savais que c’était un gros dispositif et je voulais acquérir de l’expérience, raconte-t-il emmitouflé dans son cache-cou. J’ai posé des congés pour y participer. »
Soudain, la radio d’Émile crépite. « Équipe mairie 1, équipe mairie 1, ça va être à vous ! » s’exclame-t-il. Une équipe de sauveteurs amène une jeune fille de 16 ans présentée comme alcoolisée. Les secouristes s’affairent pour tout préparer. Parmi eux Juliette, un peu stressée. Elle n’a validé ses diplômes de secourisme qu’il y a deux mois dans son CFI, au Havre. Elle s’apprête à vivre sa première intervention réelle. L’adrénaline monte, son ventre se noue. « Tu préfères que je note, demande-t-elle à Simon en enfilant nerveusement ses gants. Où que je prenne une tension ? » Le Parisien et quelques camarades havrais la rassurent.
La victime arrive quelques minutes plus tard. Elle est désorientée. Les bénévoles commencent à prendre tension et pouls tout en lui parlant. Les phrases de la jeune femme sont vides de sens. Elle semble perdue. Peut-être n’a-t-elle pas seulement bu. La jeune fille sera récupérée par sa mère deux heures plus tard. « Elle disait tout et son contraire en peu de temps, décrit Juliette. Je ne suis pas près d’oublier cette première intervention. » La Havraise a pu constater que l’activité opérationnelle arrive par vague. « On peut rester deux heures sans agir puis avoir trois victimes en dix minutes, » conclut la bénévole de 18 ans.
La bataille de confettis fait rage
Au même moment, le jugement du roi du carnaval approche. Coupable, il est brûlé dans le port de Granville face aux applaudissements et aux cris de joie. La musique repart de plus belle sur les 46 chars. Tous convergent vers le dernier feu d’artifice : la bataille de confettis. « Petits et grands, tout le monde s’amuse sans exception, décrit Marc, nageur sauveteur du CFI Ille-et-Vilaine. »
La crise sanitaire a privé les carnavaliers de ces moments pendant deux ans. « C’est la 149ème édition du carnaval. C’est sacré ici, rapporte Elouan, né à Granville et nageur sauveteur au CFI Manche. Les carnavaliers qui partaient pour Terre-Neuve recevaient plusieurs mois de salaire en avance et les dépensaient dans les bars. » La foule se masse sur la place du Général de Gaulle. Des trinômes de sauveteurs sont répartis dans cet attroupement compact.
David supervise la zone depuis les toits. « Je me perche toujours pour avoir une vue d’ensemble, explique-t-il. Je peux voir des choses qu’on ne voit pas au milieu de la foule. » Soudain, les chars déversent d’immenses sacs de confettis sur la foule. « Il y a dix sacs de trente kilos par char, précise Elouan, des étoiles dans les yeux face à la multitude de couleurs. Cela représente entre six et sept tonnes de confettis sur l’ensemble du week-end. »
La bataille fait rage. Plusieurs centimètres de confettis tapissent le sol de Granville. Les gens les ramassent et les lancent joyeusement. « C’est la plus grosse bataille de confettis que j’ai vu depuis que je fais le carnaval », relève David. Constat partagé par Elouan. Marc reçoit plusieurs salves mais sa vigilance ne faiblit pas. Il avertit successivement plusieurs personnes qui escaladent les panneaux de signalisation. Certains ne sont pas rassurés par cette marée humaine. Ils paniquent. Un agoraphobe est pris en charge par les bénévoles deux rues plus loin. Il faut le calmer, le réconforter.
Finalement, un cessez-le-feu intervient après quelques heures. Les bénévoles ont géré quelques malaises dans la foule, sans gravité. La journée n’est pas finie pour autant. Les équipes se restaurant successivement au poste de secours. Certains viennent d’arriver pour prendre le relai. « Le dispositif sera levé à 3h du matin, annonce Émile. Ce sont les derniers moments, restons vigilants jusqu’au bout. »
Quelques équipes de sauveteurs arpentent les rues jusqu’au milieu de la nuit. Les quelques victimes sont ivres ou simplement perdues. Les bénévoles sentent que la fin du week-end arrive. « Nous avons déjà hâte d’être à l’année prochaine, » sourit David. Tous repartent du carnaval avec des souvenirs plein la tête et des confettis plein les vêtements.
Article rédigé par Rémy Videau, diffusé dans le magazine Sauvetage n°164 (2ème trimestre 2023)